L'attrait du rigide

Volant sans interruption sous delta depuis 1977, j’ ignorais totalement le nombre de pilotes volant sous rigide et j’avoue que cela ne m’avait jamais interpelé.
J’ai toutefois le sentiment, sans en connaitre le nombre exact, que les pilotes de souples ne sont pas non plus très nombreux
la problématique concerne donc la globalité de l’activité delta.

Si à notre époque le parapente avait existé, aurions-nous été aussi nombreux ? Je suis intimement persuadé du contraire. Indépendamment de l’aspect financier, reconnaissons que le parapente, par sa facilité d’apprentissage, la rapidité de la progression, sa praticité de transport, sa commodité (et en conditions normales) sa facilité de mise en œuvre, a tout pour séduire. Il peut notamment attirer une population « consommatrice «, encline à préférer la facilité, attirée par les sensations fortes mais rechignant à en assumer les risques et de plus majoritairement citadine. Je précise immédiatement que je ne classe pas tous les parapentistes dans cette description évidemment réductrice.

La faible place nécessaire au stockage, dans des conditions de logement en appartement est, de plus, un argument implacable.
Nous-mêmes, très nombreux, avons été séduits par ces aspects et dès les premières heures avons été des pratiquants parfois très assidus !

Cette phase étant d’ailleurs considérablement plus facile sous ce nouveau jouet, nous étions les champions de la précision d’atterrissage !
La première question qui se pose est donc : « pourquoi sommes-nous restés ou revenus sous nos deltas ? «.
La première réponse est que nous avions déjà passé la phase laborieuse de l’apprentissage, acquis notre matériel et organisé notre logistique « périphérique », et donc que le plus dur était déjà fait.

La seconde réponse, mais cela il n’y a que nous qui puissions le dire en connaissance de cause, c’est que le parapente ne nous a pas procuré cette sensation de glisse, dans et au contact direct de la masse d’air, incomparable, grisante, que l’on ne peut ressentir que sous un delta... (ceux d’entre nous qui ont été tentés par le planeur disent généralement que cette sensation leur manque). La notion de pilotage est aussi très différente et nous apparaît globalement plus gratifiante sous « nos tubes ».

La deuxième question qui se pose est : « pourquoi les parapentistes, une fois qu’ils ont acquis une certaine maitrise, ne font- ils pas preuve de la même curiosité que nous en essayant à leur tour notre activité ? ».
Une grande partie de la réponse est déjà contenue dans les paragraphes précédents. La complexité de mise en œuvre, montage compris, ne plaide évidemment pas en faveur de notre activité. La qualité des vols comparés dans toutes les phases (et je ne pense pas seulement à l’atterrissage.....) n’est malheureusement pas toujours en faveur du delta.

Je constate également qu’il est très peu gratifiant pour un très bon pilote de parapente, que nous avons réussi à convaincre d’essayer, de redevenir un « débutant », après avoir régulièrement pensé, voire dit, que « ce ne devait pas être bien compliqué» et que les quelques rares qui s’y sont essayés ne sont pas les ambassadeurs les plus convaincus... donc les plus convaincants !

À ce stade de mon propos, il me paraît opportun de faire un parallèle entre le ski et le surf des neiges : il est évident, mais je laisse chacun se faire son opinion, que la problématique est la même avec un plaisir beaucoup plus immédiat pour un « investissement technique» plus faible avec un surf.
A noter que lors de la formation au B.E. de ski, une unité de formation surf des neiges est incluse.

Les moniteurs de ski connaissent donc les deux activités et se spécialisent ou alternent leurs pratiques, en fonction de leurs goûts ou de la demande. Ils peuvent en tout cas orienter leur clientèle de manière pertinente, sans ostracisme.
De là à dire que si les B.E. parapente avaient une vraie unité de formation delta au cours de leur cursus... mais ce n’est pas bien sur l’objet de mon propos.....

En restant sur ce parallèle, les débutants en ski se voient maintenant équipés de skis modernes qui leur facilitent grandement la progression et l’accès au hors-piste dont ils rêvent tous, ce qui explique peut-être la persistance des deux pratiques chez les débutants.
Les ailes modernes faciles ont également évolué dans ce sens, et malgré tout n’ont pas attiré de nombreux amateurs.

La raison est donc certainement d’avantage dans les motifs évoqués ci-dessus.
Ce constat étant fait, revenons au propos initial de Jean-Louis Debiée et à son interrogation sur la faible appétence pour le Delta Rigide. Là encore il faut faire une analyse objective des handicaps supplémentaires à franchir pour le pilote d’aile souple déjà pratiquant régulier (le plus dur est déjà fait !!!!) et essayer de tempérer la perception négative de nos appareils :
- le rigide c’est cher voire trop cher ! C’est vrai voire très vrai ! Néanmoins le marché de l’occasion se développe et autorise l’accès à des ailes en parfait état, révisées de A à Z par les constructeurs pour des prix tout a fait raisonnables. Ce n’est pas toujours le cas pour certaines ailes souples dont le suivi n’est plus assuré.
- le rigide c’est pour les vieux ! Certainement, et avec grand plaisir ! Mais est-ce à dire qu’eux seuls sont costauds et capables de soulever ces engins ? Peut-être ! Que leur pilotage est tellement facile et peu physique que ce sont les seuls qui leur restent accessibles ? Peut-être ! Et même sûrement pour une partie du propos : un rigide est plus facile, plus sûr à ce niveau de performance ( qu’il est le seul à posséder ) et effectivement moins physique à piloter.
- le rigide c’est fragile ! J’en suis à mon troisième et c’est également l’image que j’en avais. Mes deux premières ailes ont été révisées avant d’être vendues sans que de gros problèmes aient été décelés par le constructeur et les problèmes mineurs sur le carbone avaient très facilement été corrigés. J’avoue toutefois être très soigneux et conserver un souvenir « ému» du transport de mon aile sur un véhicule très rustique, et c’est un euphémisme, (que j’applique d’ailleurs également à la « conduite toute en douceur» du dit véhicule) pour voler au Cap de Pale à Val Louron. A l’évidence, ces ailes ne sont pas faites pour ça ! et réclament d’être traitées avec un minimum de ménagements, peut-être aussi au regard de leur prix, mais pas uniquement... car j’essayais de traiter mes deltas souples de la même façon.
- le rigide c’est plus difficile ! (beaucoup plus rarement entendu d’ailleurs, car peut-être trop flatteur...pour les vieux). C’est totalement faux, sauf à mon avis pour la phase de décollage, qui réclame une attention extrêmement soutenue de l’assiette de l’aile sur les deux axes, et qui devient pour le moins délicate lors de vents travers et irréguliers. Utilisés à bon escient, les volets aident grandement dans cette phase, comme dans celle de l’atterrissage. (Décollage avec 60 km/h de vent au Monte Cucco et très peu de vent sur des décos peu pentus comme Castejon de Sos en partant au ras de la route au sommet).
- pour illustrer ce propos sur la facilité et la sécurité : notre club compte un jeune pilote déjà très bon parapentiste, doué, puisqu’après un stage d’une semaine où il a volé en delta pendant et après le stage sous Mambo et prouvé régulièrement la précision de sa gestuelle il a souhaité changer d’aile avant qu’une année se soit écoulée. Je lui ai donc donné mon F1, révisé et en parfait état, en lui prodiguant tous les conseils indispensables. Cette aile vive et n’ayant jamais eu la réputation d’être très facile à poser, j’ai insisté sur ces points.
J’ai donc assisté au premier vol : parfait ! Il a donc continué à voler sous cette aile sans aucun problème. Au cours de la saison suivante, il m’a appris qu’il avait acheté une aile sans mât, et m’a rapidement fait part d’inquiétudes réelles. En tant que Président du Club, j’ai chaussé mes pantoufles de vieux pilotes et lui ai expliqué gentiment qu’il était en train de griller les étapes et qu’il allait au-devant d’ennuis sérieux. Connaissant un Atos d’à peine une quinzaine de vols, comme neuf, qu’un de mes amis cessant l’activité souhaitait vendre, je lui ai conseillé de ne pas laisser passer une telle occasion et de prendre cette aile. La prise en main, sous les yeux très inquiets de son père ancien deltiste, a été instantanée et lui, comme moi, sommes beaucoup plus rassurés. Quand on sait qu’il s’est équipé d’un tel matériel pour une somme de 3000 €, on se demande ce qui aurait pu le faire hésiter !!! Dans le même temps, deux pilotes désirant rester en souple ont acquis des T2 pour un prix unitaire de 6000 €.
Notre club compte maintenant d’avantage de rigides que de souples (4/3) , à la satisfaction de tous, chacun étant convaincu qu’il a fait le meilleur choix pour lui (les autres pilotes volant sous parapente ou d’autres engins tels qu’hélicoptère, autogyre, planeur, Ulm, mais tous bi pratiquants et ayant volé en delta, nous sommes habitués à comparer les avantages et inconvé- nients des uns et des autres avec une certaine ouverture d’esprit.)
- une certitude en tout cas : la performance à ce niveau sous les ailes sans mât les plus performantes n’est accessible qu’à d’excellents pilotes et au prix d’un pilotage autrement pointu, qui, lui seul, peut garantir un degré de sécurité équivalent.
En cette période de quasi guerre de religion, je me garderai bien de tout prosélytisme et me contenterai d’expliquer ce qui m’a amené à passer au rigide après une très longue « carrière» sous aile souple, de la Manta au F1 évo, en passant par de multiples évolutions intermédiaires. Il y a 7 ans on m’a proposé un Atos C alors que j’envisageais l’achat d’un combat et j’en suis resté durant toute la saison à me dire que même si l’on me donnait l’un ou l’autre, j’étais incapable de choisir.
En fin de saison, toujours aussi indécis, je me suis dit que je ne pouvais pas mourir idiot et que je me devais d’au moins essayer le rigide.
Je suis loin d’être un inquiet, mais je ne vous cache pas la tension au décollage, une fois accroché sous le bijou.
La catastrophe : l’essayer c’est l’adopter ! Le chèque a été fait aussitôt après l’atterrissage.
Pour revenir à l’une des objections évoquées plus haut « quand on aime, on ne compte pas».
Dès le décollage (une formalité dans de bonnes conditions) j’ai immédiatement perçu la différence de performance et la douceur de pilotage, la facilité de mise en virage mais surtout l’étendue de la plage de vitesse avec un vario ne plongeant pas aux abîmes lors des accélérations, sans aucun mouvement parasite dans les hautes vitesses (115 km/h dès le premier vol) jamais atteintes sous un souple... Un régal, y compris lors des changements de sens de rotation perçus toutefois comme un peu moins vifs mais... sans perdre un mètre !
La gravité n’ayant pas totalement disparu... m’a insensiblement rapproché de l’atterrissage mais sous des angles de plané totalement inconnus jusque-là. La mise en œuvre des volets, quoique très simple, m’a d’avantage stressé, lors du premier atterrissage, que l’usage quasi systématique du drag-chute dont j’étais coutumier.
Par la suite leur usage s’est affiné et c’est, là encore un réel avantage de pouvoir doser, à l’inverse du tout ou rien du dragchute. L’efficacité de l’un comme de l’autre est évidemment proportionnelle à la vitesse pour dégrader le taux de chute, mais la possibilité de doser les volets est un réel plus surtout en cas de nécessité de récupérer sa finesse max !!!!
Essayer de rajouter la problématique d’une récupération aléatoire du parachute de freinage, en situation de stress découlant des conséquences d’une mauvaise appréciation, me paraît infiniment plus compliqué que de lâcher la cordelette des volets du taquet coinceur et je dirai même garantir le hors terrain...! Au minimum !
Dans notre pratique nous ne sommes pas tous des bouffeurs de kilomètres, ce qui pour certains réfractaires semble être la seule raison de passage au rigide, prouvant par là-même qu’ils lui reconnaissent une supériorité dans ce domaine.
Pour ma part après moults récupérations galères consécutives à quelques cross en montagne avec sauts de vallée...beaucoup plus compliqués à effectuer en voiture, maintenant je me satisfais totalement de voler longtemps en local élargi.
Et bien là encore, la supériorité du rigide devient évidente. J’ai coutume de dire qu’à certains endroits, à certaines altitudes limites, je m’autorisais encore les jours de très forte motivation, un « joker» à une altitude déraisonnable, m’ayant d’ailleurs valu quelques scabreux contre-pentes !
Revoler dans les mêmes endroits avec 2, 3 jokers en totale sécurité... le rêve ! Pour le contre pente, j’en ai réalisé un à Assise sans problème... mais je n’oserais pas dire sans stress !
Sur notre site, il est évident pour moi que ne nombreux jolis vols se seraient transformés en ploufs mémorables sous mon aile souple.
Pour terminer, et dans le plus grand respect des choix de chacun, le seul fait de voir un pilote sous un delta me ravit déjà, à la seule idée de partager un vol. Je ne me sens aucunement obligé de convaincre qui que ce soit de l’impérieuse nécessité de passer sous aile rigide.
Pour ce qui me concerne, j’ai découvert des domaines de vol dont j’avais toujours rêvé, avec un total sentiment de sécurité. Par pure charité chrétienne (on y revient décidément toujours !!) car ils ne savent pas ce qu’ils perdent... Je me contenterai de seulement dire aux détracteurs : essayez ! Ne serait-ce que par curiosité intellectuelle et pour pouvoir juger en connaissance de cause....
Je ne suis pas un intégriste du rigide et suis revenu, après 7 ans, sous un souple cet été, et ce malgré les dissuasions de pilotes ayant déjà effectué ce retour avec « moins ou moins» de bonheur 
à l’inverse du passage souple vers rigide, le retour dans ce sens m’a paru effectivement plus compliqué pour ne pas dire dangereux, ce qui m’a d’ailleurs grandement surpris. Il faut réellement un retour progressif en cas de longue interruption. Je vous en parlerai après échange de la cartouche d’encre...

Alain DARHORT

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